ETAPE DE CORRECTION DES ARTICLES et DE REDACTION DE L'INTRODUCTION (sortie prévue du numéro : été 2014)

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La problématique de la visibilité surgit depuis quelques années comme en témoigne une multitude de publications et de manifestations scientifiques. Dans l’ouvrage collectif au nom évocateur Nicole Aubert et Claudine Haroche étudient les paradoxes liés à la domination sans bornes du visible par le biais de l’image et à l’obligation pressante sur tout un chacun de se rendre public (Aubert&Haroche, 2011). Etre visible, c’est exister, pour les adolescents et les jeunes diplômés, les hommes et les femmes politiques, les institutions et les entreprises, les produits et les marques. Richard Sennett évoquait, dès les années 70, l’émergence de l’individu narcissique en quête permanente d’un reflet de soi (Sennett, 1979). Cette exigence de visibilité, qui s’est accrue à partir des années 1990, s’appuie sur des dispositifs numériques (réseaux sociaux, blogs, sites institutionnels, etc.) dont l’expansion fulgurante reflète le besoin de nouveaux espaces de mise en visibilité dans la sphère publique. Qu’en est-il pour les individus au travail ? Que signifie « être visible » pour un salarié ou un collectif de travail dans le contexte de l’entreprise moderne où prime la corporate gouvernance (Segrestin&Hachuel, 2012) ? Quelles sont les raisons qui les poussent à rechercher en permanence le regard d’autrui ? L’une des spécificités de ce numéro thématique tient à ce que nous proposons de cerner la problématique de la visibilité dans le périmètre de l’entreprise et de l’interroger dans une approche communicationnelle.

Taire l’intime dans le monde professionnel n’est plus d’actualité (Berrebi-Hoffmann, 2010 ; Broadbent, 2011). L’individu au travail, souvent stressé, parfois oppressé, est en quête de sens dans son activité quotidienne, à la recherche d’une satisfaction, d’une fierté. Il souhaite donner de la visibilité à ses actes et être reconnu. Cette reconnaissance se manifeste par la gratitude et l’estime mutuelle (Andonova&Vacher, 2009). Jugé de plus en plus souvent sur ses apparences et de moins en moins sur ce qu’il sait faire (ses compétences et ses actes), valorisé pour son image ou apprécié à travers les traces visuelles et écrites qu’il doit laisser, notamment à travers le respect d’une multiplication de normes, le salarié est progressivement poussé à s’exhiber pour justifier sa mission et ses responsabilités, pour légitimer sa présence et prouver son utilité. Suite à cette revendication permanente de visibilité l’individu au travail se réduit-il à sa seule apparence ? Comment construit-il et organise-t-il ses interactions professionnelles et quelles sont les configurations émergentes ?

Dans l’entreprise cette visibilité peut être recherchée, voulue ou réclamée, mais aussi décrétée, imposée, voire infligée. La problématique de la visibilité convoque également celle de l’invisibilité, l’invisible étant considéré comme insignifiant, disqualifié et confondu avec l’inexistence sociale. Cette invisibilité peut être liée au statut social inférieur conféré à certains individus, à la nature vile et peu noble des tâches (Le Bis&Vacher, 2006) qu’ils accomplissent ou encore à l’agencement organisationnel et socio-technique qui fait référence à la place des dispositifs numériques au travail.

L’originalité de ce numéro thématique est d’interroger la visibilité des individus et des collectifs de travail à la lumière de deux dimensions intimement liées, celles de la technologie et de la temporalité.

Le recours aux dispositifs numériques et leur appropriation dans le monde professionnel imposent de repenser la question de la temporalité individuelle, collective et organisationnelle. Nicole d’Almeida montre que la temporalité des organisations est une temporalité éclatée et rétrécie, marquée par une discontinuité et une accélération croissantes (d’Almeida, 2001). Si le passé du présent a de moins en moins de valeur en entreprise, le futur du présent s’annonce très incertain. Le rapport au temps a radicalement changé, celui-ci étant conjointement le produit de l’instantanéité des échanges via les dispositifs numériques et d’une organisation de travail à la recherche du profit immédiat. Profit que l’individu paye au prix fort (stress, souffrance au travail, suicide). Instantanéité, immédiateté, simultanéité sont des maîtres-mots qui dictent le quotidien des entreprises, des équipes de travail et des salariés (Aubert, 2003). Comment ces derniers organisent-ils leurs actions, s’aménagent-ils des espaces de parole et construisent-ils des lieux de visibilité dans ce contexte d’urgence, devenu cadre institutionnel de l’action ? Comment l’individu se projette-t-il et planifie-t-il son avenir dans un horizon temporel qui se contracte et qui s’estompe ?

Dans ces configurations temporelles mouvantes et incertaines, l’individu construit ses interactions professionnelles en conjuguant le présent et en attendant une gratification immédiate. L’ivresse que lui procure l’accès aux TIC, sa participation brève et momentanée aux échanges électroniques, son apparition éphémère sur le réseau social interne, sont autant de signes de satisfaction passagère que de reconnaissance bien réelle. Ce culte de l’immédiat couplé à l’exigence de visibilité (de l’individu, de son action, de son utilité) convoque aussi les questions de la mémoire (individuelle et organisationnelle), de l’oubli et du mépris social (Heller, 2009). La mémoire est ici entendue non pas comme l’histoire de l’entreprise (Blin&Gramaccia, 1995) mais comme le témoin, la preuve active, immédiate du travail et des actes des individus. Les supports numériques évoluent sans cesse et s’ajoutent aux dispositifs préexistants : journal d’entreprise numérique, Intranet, chat avec le PDG, forums métiers, réseau social interne, tableaux de bord informatisés, etc. Ils constituent autant de traces qui gratifient au présent l’entreprise que d’empreintes qui peuvent léser l’individu. Cette surabondance des données, des informations et des traces nécessite aussi des moments d’amnésie.Pour poursuivre sa vie ou pour la changer, on a parfois besoin d’oublier (une expérience douloureuse, un échec professionnel ou un licenciement). Les supports numériques cependant se souviennent de tout. Comment alors oublier ? Comment se faire oublier ? La visibilité recherchée aujourd’hui sera-t-elle tant appréciée demain ? Le regard des sciences humaines et sociales permet de repenser les capacités de l’individu à se souvenir, à oublier, à reconstruire et inventer dans les interactions sociales avec la technique.

Interroger dans une approche communicationnelle la problématique de la visibilité en entreprise en lien avec la technologie et la temporalité ouvrirait certainement des champs de réflexion nouveaux ou peu développés jusqu’à présent. Ainsi ce numéro a comme objectif de témoigner de la dynamique de ce domaine de recherche en rassemblant des contributions permettant d’éclairer le thème de la visibilité des individus et des collectifs en milieu professionnel.

Plusieurs questions peuvent être posées sans prétention d’exhaustivité : Quelles sont depuis l’irruption massive des dispositifs numériques les nouvelles formes de visibilité présentes ou en train d’émerger dans l’entreprise ? Comment la communication organisationnelle en est-elle affectée ? Se montrer, être vu et lu est-il en train de devenir la norme aujourd’hui ? Comment la technologie contribue-t-elle à reconsidérer, valoriser, célébrer l’individu et les collectifs au travail ou inversement les dévaloriser, les rendre invisibles ? De quelle manière les notions de mémoire individuelle et organisationnelle, de temporalité se posent-elles actuellement avec l’usage intensif des TIC ?

Ce dossier thématique propose donc de repenser les apports, les embûches et les opportunités qu’offrent les nouvelles formes de visibilité à l’individu au travail. Quel regard y portent les chercheurs en sciences humaines et sociales avec le recul de plusieurs années de pratiques professionnelles avec les Intranet, les messageries et les réseaux sociaux numériques internes dans les organisations ? C’est ce questionnement que nous allons tenter ici d’amorcer. Confronter les points de vue, croiser les regards. Il est temps de faire un bilan, ne serait-ce que provisoire, sans oublier les fondamentaux.

 

Références bibliographiques

ANDONOVA Y., VACHER B. (2009), « Visibilité et reconnaissance de l’individu au travail », Communication&Organisation, n°36, pp.136-147.

AUBERT N. (2003), Le Culte de l'urgence : La société malade du temps, Paris, Éditions Flammarion.

AUBERT N., HAROCHE C. (2011), Les tyrannies de la visibilité. Etre visible pour exister ?, Paris, Erès.

BERREBI-HOFFMANN I. (2010), Politiques de l'intime. Des utopies sociales d'hier aux mondes du travail d'aujourd'hui, Paris, La Découverte.

BLIN D., GRAMACCIA G. (1995), dossier « L’entreprise et ses mémoires », Communication&Organisation, n°7.

BROADBENT S. (2011), L’intimité au travail, Editions FYP.

d’ALMEIDA N. (2001), Les promesses de la communication, Paris, PUF.

HELLER T. (2009), « Reconnaissance et gouvernement des salariés. Au-delà du mépris », Questions de communication, n°15, pp.93-107.

HONNETH A. (2004), « Visibilité et invisibilité. Sur l'épistémologie de la «reconnaissance » », Revue du MAUSS, 2004/1, n°23, pp.137-151.

Le BIS I., VACHER B. (2006), « Les vertus stratégiques de la discrétion des services documentaires. Théories et illustrations », Revue Documentaliste - Sciences de l’information, n°3-4, pp.200-208.

RESEAUX (2005), volume 23, n°129-130, dossier thématique « Visibilité/Invisibilité ».

SEGRESTIN B, HATCHUEL A., (2012), Refonder l’entreprise, Paris, Seuil.

SENNETT R. (1979), Les tyrannies de l’intimité, Paris, Seuil.

 

Calendrier

Date limite de remise des propositions : 15 juin 2013

Sélection des propositions : 30 juillet 2013

Remise de l’article intégral : 15 octobre 2013

Evaluation par le comité de lecture : 1er décembre 2013

Retour des articles définitifs : 5 janvier 2014

Publication du n°45 de la revue Communication&Organisation : juin 2014

 

Consignes de rédaction des propositions

Les articles attendus peuvent être des études empiriques, des monographies, des retours d’expérience ou des réflexions théoriques qui permettent d’éclairer, de questionner ou de mettre en perspective les problématiques précédemment évoquées.

Les propositions doivent être déposées sur la plateforme en suivant les instructions indiquées. Elles doivent comporter comme suit : le titre de l’article, 3 à 5 mots-clés, un résumé et une bibliographie, le tout en 1000 mots maximum.

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